mardi 18 septembre 2007

La Violencia



Voilà peut-être l'une des clefs essentielles pour comprendre (un peu) la Colombie.




Depuis l'indépendance, la vie politique du pays est cadencée par le conflit qui oppose les deux factions historiques, l'une conservatrice et catholique, inspirée par Bolivar (premier président de la République colombienne), l'autre libérale et laïque, portée par les partisans de son premier vice-président (et successeur) Francisco de Paula Santander.




De 1840, date de la mort de ce dernier, à 1978, il n'y aura de place dans le pays pour aucune autre formation politique. Un tel système n'a pu se péréniser sur la seconde moitié du XXème siècle, qu'à cause de la Violencia.




C'est l'assassinat à Bogota, le 9 avril 1948, de Jorge Eliécer Gaitán, le leader libéral, qui va mettre le feu aux poudres. Immédiatement, des émeutes sanglantes éclatent dans la ville. La répression organisée par les conservateurs au pouvoir, va rapidement radicaliser le conflit, qui dégénère en une guerre civile dévastatrice qui durera près de dix ans : La Violencia.

Lugubre dénomination, pour un conflit qui va faire quelques 300 000 victimes, et qui, après un intermède militaire, ne prendra fin qu'en 1957, par l'instauration du Front National.

Enfin décidé à mettre un terme à ce bain de sang généralisé, Conservateurs et Libéraux, vont trouver un accord ubuesque : se partager le pouvoir dans une stricte alternance de quatre années, jusqu'en 1978.




Et de fait, alors que ses voisins (Chili, Argentine, Bolivie...) tombaient un à un sous le joug des dictatures militaires, la Colombie a pu ainsi stabiliser son régime et son économie. Mais, effet pervers, durant vingt ans, le Front National a permis la création d'une élite dirigeante ultra-fermée, népotique, qui se cooptait dans un système quasi dynastique.

Surtout, en ne laissant aucune place pour d'autres formations politiques, le Front National a été plus ou moins directement à l'origine de la fondation des groupes terroristes d'extrême-gauche, dont les FARC-EP (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo, pour Forces armées révolutionnaires de Colombie - armée du peuple) sont les derniers survivants.




De 78 à 91, la Colombie traverse une crise grave du pouvoir qui ne se résolvera que dans l'adoption d'une nouvelle constitution largement progressiste, qui permettra à de nombreux groupes armés de démobiliser et de rejoindre le jeu politique. Une solution que refuseront les FARC, en dépit de l'offre du Président Pastrana, qui leur concède une zone démilitarisée.

Aujourd'hui, la guérilla est une épine dans le pied du pouvoir en place. Même si, avec l'aide militaire des États-Unis, le gouvernement d'Alvaro Uribe , a su renforcer l'assise du pouvoir central, les FARC lui mènent toujours la vie dure. Ils n'ont évidemment plus rien à voir avec le mouvement de guerilla rurale des années 60. Ce ne sont plus, aujourd'hui, et ce en dépit des déclarations de leur chef Raul Reyes, qu'une bande de narcotrafiquants qui ne se soucient guère des populations rurales qu'ils prétendaient défendre à leur création en 1964.

Pour une iconographie pertinente de cette zone sous contrôle des FARC, je vous renvoie à la très belle série de clichés, déjà évoquée, et réalisée par Martin Barzilai, intitulée Massif colombien.




L'une de leurs revendications, notamment, concerne l'obtention d'une zone franche dans le département de Valle del Cauca, où ils font régner la terreur. Son principal intérêt est qu'elle est à la jonction de la cordillère occidentale – celle où se trouve Cali –, et de la cordillère centrale. C'est le point de contrôle d'une vallée qui constitue une des routes de sortie de la cocaïne.

Inacceptable pour Alvaro Uribe, dont il convient de préciser qu'il est largement soupçonné de collusion avec les paramilitaires – grosso modo le pendant d'extrême droite des FARC –. Rien n'a jamais été prouvé, mais nombre de ses plus porches partisans ont eu à rendre des comptes à la justice dans ce sens.




Ce conflit qui dure donc depuis 50 ans, l'ambiance nettement délétère de la vie politique du pays, des pratiques largement discutables dans l'usage du pouvoir, comme certaines prérogatives régaliennes que le président s'est arrogées (ainsi la modification de la constitution qu'il s'est offerte par voix de référendum pour se faire élire une deuxième fois, et qu'il projette de réitérer pour briguer un troisième mandat), sont autant de freins, non pas au développement de la Colombie, comme on l'a vu, mais qui procède d'un esprit quasi féodal. Pas si éloigné que ça, finalement, du schéma historique des sociétés coloniales.

En dépit de cela, on ne peut s'empêcher de ce demander ce que serait ce pays, sans ce handicap, assainit de ces pratiques et ayant crevé l'abcès de violence qui plombe son histoire.


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